Liu Chia-liang est
un peu la référence en matière de cinéma d’arts martiaux, il
est un descendant direct d’une famille liée à Wong Fei-Hung
par l’intermédiaire d’un des fameux disciples du célèbre
docteur maître en kung-fu, le boucher Lin Shirong. En plus d’être
un immense artiste martial, Liu Chia-liang est également un
metteur en scène et un chorégraphe de renom ayant grandement aidé
à la crédibilité des combats dans les films de Chang Cheh
notamment. Mais il est également le réalisateur des plus belles
perles du cinéma kung-fu, des œuvres magistrales comme Heroes
Of The East (Shaolin contre Ninja) ou 36th
Chamber Of Shaolin (La 36° chambre de Shaolin), de véritables
références du genre qui ont et continuent d’influencer les
auteurs de cinéma martial. Son prochain film, Drunken
Monkey est très attendu par les fans du genre, peut-être le
renouveau de la kung-fu comédie dont il est certainement le véritable
inventeur.
Né à Canton en
1936, Liu Chia-liang est le fils du maître Liu Zhan, véritable
descendant du boucher volant Lin Shirong. Toute l’enfance de Liu
Chia-liang sera entièrement dévouée à l’art suprême, il
apprendra les différentes techniques du Nord et du Sud et
deviendra vite un expert dans ces diverses disciplines.
En 1948, la famille Liu immigre à Hong Kong, le père entre dans
l’industrie cinématographique et devient acteur-chorégraphe
sur la série Wong Fei-hong dans laquelle le rôle du célèbre
docteur est tenu par le vétéran Kwan Tak-hin.
Liu Chia-liang, fortement baigné dans le milieu fera connaissance
de Tong Gaai (Tang Chia en mandarin), un autre célèbre chorégraphe.
Tous les deux rentrent très vite sous la coupole de Chang
Cheh,
et deviennent directeurs des combats sur les films de l’ogre.
Avant cela, ils auront fait leur début de chorégraphes sur le
film Jade Bow de Cheung Yam Yim. En 1967, Liu Chia-liang participe à The
One-armed Swordsman et
Trail Of The Broken Blade
de Chang Cheh dans lesquels il tiendra d’ailleurs un rôle
anecdotique d’acteur. Ses qualités de chorégraphes servent les
exagérations sanguinolentes et tardent à se mettre véritablement
en valeur. De 1967 à 1975, Liu Chia-liang apportera ses talents
martiaux aux œuvres de Chang
Cheh, il tentera, parfois vainement
d’insuffler un esprit véritablement basé sur le respect de
l’art martial, ce que l’ogre changera en manifeste chirurgical
de la souffrance et de la chair. En 1969, Liu apparaît en
homme-taupe dans le très délirant Return
Of The One-armed Swordsman, dans un rôle de méchant opposé
au gentil Jimmy Wang Yu. La collaboration avec
Chang Cheh donnera
de véritables chef d’œuvres du genre, des musts comme Heroic
Ones (Les 13 Fils Du Dragon d’Or) et
Boxer From Shantung (Le Justicier de Shangaï). En 1974
Chang Cheh met sur pied sa saga Shaolin avec Heroes
Two, Liu trouve dès lors un véritable champ d’expérimentation
pour ses recherches martiales. Liu Chia-liang a été élevé dans
une tradition martiale, stricte et basée sur le respect des ancêtres
et la culture nationale, ce qui lui vaudra parfois des quolibets
de la part de ses détracteurs lui reprochant son côté limite
nationaliste. En 1975, il dirige les combats de Disciples
Of Shaolin (Les disciples de Shaolin), on dit que
c’est sur ce tournage, qu’écœuré par le goût trop prononcé
pour la violence visuelle de Chang
Cheh, que Liu se séparera de
son mentor pour s’en aller voler de ses propres ailes.
Le
réalisateur
C’est en 1975, que la Shaw Brothers produit son Spiritual
Boxer (sorti en France en vidéo sous le titre très démonstratif
de Wang Yu défie le maître
du karaté). Le film est un succès au box office en
ramenant près de 2 millions de $ HK. On peut dire que c’est
avec ce film que naît la comédie kung-fu, un genre qui
s’opposera ouvertement aux démonstrations sanglantes et
malsaines de Chang Cheh en prônant l’éducation de l’art
martial d’une manière moins extrême. De plus, il apportera une
certaine légèreté et un ton badin se démarquant totalement du
lyrisme ultra-violent, caractéristique de l’œuvre du réalisateur
de La Rage Du Tigre.
Dans le rôle principal, il impose un certain Yung Wong Yue qui
sera plus connu sous le nom de Wong Yu (à ne pas confondre avec
Wang Yu, ce que le titre français semble nous faire croire).
C’est avec ce film, qui qualitativement est encore très loin
d’atteindre le niveau de ses œuvres maîtresses, qu’il impose
les prémices d’un genre qui fera bien des émules par la suite,
des gens comme Yuen Woo Ping et Jackie Chan sauront s’en
inspirer. La plupart du temps, ces trames sont basées sur le même
schéma : l’agression d’une tierce personne par une ou
plusieurs autre(s) personne(s), l’éducation dans une douleur
toute relative, teintée d’ironie et de comique de situation, et
la vengeance dans des joutes martiales souvent phénoménales.
En 1976, il réalise Challenge
Of The Masters (Le combat des maîtres) et impose celui
qui deviendra une véritable figure de proue de son cinéma, en
l’occurrence son demi-frère Liu Chia-hui, alias Gordon
Liu. Ce
dernier interprète le rôle d’un jeune Wong Fei-Hung espiègle
dont l’éducation martiale sera parfaite par le maître Lu Ah
Tsai, interprété par l’immense Chen Kuan
Tai.
L’année suivante, Chen Kuan Tai tiendra le rôle principal du
premier chef d’œuvre de Liu Chia-liang, Executionners
From Shaolin (L'exécuteur de Shaolin) aux côtés de
Lo Lieh et Gordon
Liu, un film plus « sérieux » dans
lequel un trouve quelques traces des pulsions "Chang Chesque"
avec un goût assez prononcé pour une certaine violence physique,
certes on est loin des joutes sanglantes et de la violence d’un Disciples
Of Shaolin, mais le fait est là, Liu Chia-liang a fréquenté
l’ogre et en a hérité comme tous les futurs réalisateurs
ayant assisté à ces tournages, d’une certaine vision de la
mort. Executionners From Shaolin raconte le massacre du temple de Shaolin par un seigneur félon
et la tentative de refaire sa vie puis la vengeance de Hung Sze
Kwan, l’un des rares survivants du temple. Le ton est beaucoup
moins léger que pour ses deux autres films et c'est assez
violent.
L’année 1978 sera la grande année Liu Chia-liang, c’est là
qu’il réalisera ce qui représente certainement le meilleur non
seulement de son œuvre, mais également le meilleur de ce que le
cinéma d’arts martiaux aura donner à l’histoire. Ca commence
avec The 36th
Chamber Of Shaolin, véritable chef d’œuvre du genre dans
lequel Gordon Liu interprète le rôle d’un jeune homme dont la
famille a été massacrée par un seigneur despote et mandchou, je
précise mandchou car dans toute sa filmographie Liu Chia-liang
aura souvent mis en avant les exactions de l'envahisseur, ce qui
lui vaudra sa réputation de cinéaste nationaliste, montrant
souvent l’étranger comme mauvais, modifiant parfois même
certaines vérités historiques pour défendre ses thèses. Pour
en revenir au film, Gordon Liu donc, après le massacre de sa
famille rentre au temple de Shaolin pour y parfaire son éducation
martiale. Il réussira à passer les différentes épreuves pour
arriver à la 36ème chambre et la morale du film
pourra s’installer et Liu apportera sa conclusion toute
personnelle. L’œuvre est un véritable manifeste très esthétisant
de l’éducation dans la douleur et un véritable must du genre,
peut-être le plus grand film montrant les bonzes du temple de
Shaolin.
Incroyablement inspiré cette année là, Liu Chia-liang mettra
sur pied un excellent Shaolin Mantis (La mante religieuse) dans lequel l’acteur
David Chiang tiendra le rôle principal, interprétant le jeune
Wei Fung flirtant d’une manière toujours martiale, puisque tout
est martial chez Liu, avec la jeune et jolie Wong Hang Sau, alias
Cecilia Wong. Le film est traité sur un ton assez léger, mais
les combats sont là et David Chiang réussit l’une de ses plus
belles performances hors Chang
Cheh.
Le thème de la séduction montré avec une certaine pudeur dans Shaolin
Mantis sera repris avec insistance dans ce qui est considéré
par certains comme le plus grand film de kung-fu de Liu Chia-liang
et de l’histoire du cinéma par la même, l’excellentissime Heroes
Of The East, sorti en vidéo en France dans une version coupée
sous le titre de Shaolin
Contre Ninja . Un jeune homme de bonne famille interprété
par Gordon Liu est contraint pour des raisons d’affaires
commerciales d’épouser une jeune japonaise. Les parents
respectifs des deux jeunes tourtereaux leur ayant imposé cette
union. Seulement l’unique passion des deux jeunes époux est la
pratique des arts martiaux, ils n’auront de cesse, chacun dans
leur style, le karaté pour elle, le kung-fu pour lui, de tenter
d’imposer leur art respectif au sein du couple. Cette thématique
finalement très sexuelle donnera lieu à quelques scènes
anthologiques, notamment une scène où lors de leur nuit de noce,
les domestiques écoutant à la porte de leur chambre nuptiale
croient que la consommation de leur union se pratiquent dans des
ébats très… mouvementées, alors que les deux jeunes époux se
battent purement et simplement. D’ailleurs leur passion pour
l’art martial prendra le dessus sur leur amour et il se sépareront
momentanément, ce qui provoquera chez la famille japonaise un
sursaut d’orgueil et de colère qui apportera le côté plus sérieux
de l’œuvre et l’opposition de deux cultures différentes dans
des joutes tout à fait impressionnantes.
En 1979, il donnera une suite à son premier film tout simplement
appelée Spiritual Boxer 2
avec toujours Wong Yu dans le rôle principal, puis le crépusculaire
Dirty Ho qui tout en étant
traité sur un ton léger fait preuve d’un certain pessimisme.
L’histoire par elle même raconte comment le prince Wang Chin
Chen, interprété par Gordon Liu tente d’arriver au temple pour
assister à la nomination du nouvel empereur, durant son voyage il
est aidé par un bandit de grand chemin, le fameux Ho du titre
interprété par Wong Yu. Malgré cela, le prince vaniteux et non
reconnaissant l’abandonnera sans même un merci. Liu Chia-liang
montre dans ce film la vanité de l’être humain à qui la soif
de pouvoir et la manière d’y parvenir subjugue toute moralité,
une morale qui est l’essence même du précepte martial.
L’opposition à cette philosophie donne à Liu Chia-liang a
verser ses tendances dans un pessimisme et une forme de désillusion
latente. Le film par lui-même est plus lent et plus auteurisant,
mais garde un charme tout en prônant la pensée martiale comme
ultime rempart.
Son film suivant Mad Monkey
Kung Fu est beaucoup plus léger, le scénario se résume à
trois lignes mais à le mérite de posséder des combats très
hautement chorégraphiés et d’imposer un casting de premier
choix notamment le très marrant Hsiao Ho dont je ne cesse de
penser qu’il est peut-être l’un des plus grands inspirateurs
de Jet Li et dont la ressemblance physique avec ce dernier est indéniable,
et la jolie Kara Hui. Cette dernière tiendra d’ailleurs le rôle
principal de l’excellent My
Young Auntie qui lui vaudra un prix de meilleure actrice à
l’Asian Festival Film. Avant
cela Liu aura donné une suite à son 36th
Chamber Of Shaolin.
En 1981, Gordon Liu reprend le rôle de Wong Fei-hong dans un
excellent Martial Club
une suite directe à Challenge
Of The Masters.
L’année suivante sur un scénario de lui-même, Liu Chia-liang
donnera au cinéma d’arts martiaux l’un de ses plus beaux
fleurons avec l’excellent Legendary
Weapons Of China, rassemblant le gratin des acteurs spécialisés
dans le comédie kung-fu. Liu Chia-liang y tient le rôle de
l’oncle Yu aux côtés de Hsiao Ho, Alexander Fu
Sheng, Gordon
Liu et Lau Kar
Wing. Liu incarne donc un maître qui
s’interrogeant sur les pratiques de son clan, en opposition à
sa pensée, sera amené à s’en séparer. Les armes sont très
présentes dans ce films et sont un peu l’objet des tentations
du pouvoir et les différents moyens par lesquels les
protagonistes tentent de s’y accrocher. Les combats sont tout
simplement fantastiques, peut-être les plus impressionnants du
genre.
En 1982, le maître imposera un nouveau venu, l’acteur Adam
Cheng (Zu, The Sword)
aux côtés de Alexander Fu Sheng dans une comédie hilarante, Cat
Vs. Rat dans lequel deux joyeux lurons n’ont de cesse de se
chamailler et qui finiront par être désavoué par leur propre maître.
Après un Lady Is A Boss avec
toujours Kara Hui dans le rôle titre, il réalisera
officieusement le film de son frère Gordon
Liu, l’excellent et
injustement sous estimé Shaolin
Vs . Wutang (Shaolin contre Wu Tang) avec
Adam Cheng.
En 1983, Liu Chia-liang réalise ce qui demeure à ce jour son
film le plus désespéré et le plus violent, The
8 Diagram Pole Fighter. Peut-être désespéré par la dénaturation
du genre et l’irrespect envers les arts-martiaux, il réalise
une véritable ode à la souffrance et un pamphlet complètement
en opposition à ce qu’il prônait jusqu’alors. Dans ce film
tout est souffrance, la violence visuelle est proche des carnages
sanglants du cinéma de Chang
Cheh. On a du mal à croire que Liu Chia-liang
est à la réalisation, l’éducation des arts martiaux se fait
non seulement sur un ton très sérieux mais dans une douleur à
la limite du sadomasochisme. Le héros interprété par Gordon Liu
est un jeune homme dont la famille a été massacré par un
seigneur despote, il entre au temple de Shaolin pour parfaire son
éducation afin de mettre en application une vengeance qui sera
terrible. Le ton est très sérieux, pas le moindre cabotinage de
la part du héros, tout est sale et respire profondément la sueur
et la souffrance. Un film de fou et le délire le plus halluciné
du plus grand réalisateur de film de kung-fu, ni plus ni moins.
Ce film marquera la fin de sa carrière à la Shaw Brothers et il
partira en Chine après avoir tourné un dernier Disciples
Of 36th Chamber. Il dirigera un petit nouveau dans
une superproduction produite par la Chine continentale, ce petit
nouveau porte le nom de Li Lian Jie et sera plus connu en Occident
sous le nom de Jet Li.
Martial Arts Of Shaolin (Les arts martiaux de Shaolin) est un film important pour plusieurs
raisons, déjà parce qu’il est produit par une Chine
jusqu’alors opposée politiquement à la pratique de l’art
suprême, parce qu’il révèle Jet Li qui va devenir l’artiste
martial le plus courtisé de la planète avec Jackie
Chan, mais également
pour des raisons qualitatives. Esthétiquement le film est époustouflant,
tourné dans décors naturels, il change un peu des décors
habituels et souvent répétitifs des studios Shaw Brothers. Les
combats sont également très impressionnants et offre à Jet Li
une ouverture marquante qui lui servira tout au long de sa carrière.
D’ailleurs quel acteur dirigé par Liu Chia-liang ne gardera pas
une marque, un mental forgé par les visions éducatives du maître ?
Ce film aura marqué
une pause dans la carrière martiale de Liu Chia-liang qui
retournera en 1988 à Hong Kong pour tourner un polar comique avec
Chow Yun-fat, Tiger On The Beat et sa suite
deux ans plus tard mais cette fois avec Danny Lee à la place
de Chow Yun-fat, et un opus (pas très glorieux d’ailleurs) de
la série produite par Karl Maka, Aces
Go Places 5 (Mad Mission 5).
En 1994, Jackie Chan fera appelle à lui pour ce qui reste à
ce jour l’ultime chef d’œuvre de la comédie kung-fu, Drunken
Master 2. Un film qui touche au miracle, une œuvre
parfaite tant qualitativement qu’esthétiquement. Les combats
sont parmi les plus incroyables jamais vus sur un écran et Jackie
Chan trouve avec ce film ce qui est sans doute le sommet de sa
carrière. On sait que la mégalomanie de Jackie Chan opposée à
la ténacité féroce de Liu Chia-liang provoquera des étincelles
qui pousseront le vieux maître à se retirer du tournage au
profit de son acteur principal. Les sources quand à la paternité
de cette œuvre divergent, mais officiellement et certainement
pour des raisons de respect on l’attribuera au maître qui
donnera un troisième opus à ce film que Yuen Woo Ping avait
commencé en 1988. Cette suite sans Jackie Chan sera un fiasco
tant au niveau de la qualité que de l’écho qu’il aura eu aux
oreilles des fans, bien que les combats auront toujours malgré
tout une saveur toute particulière et seront d’ailleurs
l’unique intérêt de ce film mineur. Ce Drunken Master 3 aura sans doute eu raison du maître qui par dégoût,
ou par fatigue se retirera du show bizz en cette année 1994.
Mais une nouvelle
extraordinaire est tombée il y a quelques mois au sujet de
laquelle on annonçait le retour à la caméra du réalisateur de 36th
Chamber Of Shaolin dans une production Shaw Brothers ! ! !
Ce sera Drunken Monkey et je suis certain que les fans du monde entier en
salivent déjà. Car s’il est un réalisateur qui aura imposer
le cinéma de kung-fu, c’est bien Liu Chia-liang. Vivement
demain…
Philippe, Novembre 2002