1. Les
années kung fu
Né en 1945 à Guangzhou, Woo Ping
étudie l’opéra et le kung fu que lui enseigne son
illustre père Simon Yuen Siu Tin. C’est
encore son père qui le fait travailler sur la célèbre série Wong
Fei Wong, dans les années 60. Lorsque les Wong Fei Wong ne font plus
recette, il est régulièrement embauché par la Shaw Brothers comme
figurant ou cascadeur. Mais il faut attendre 1971 pour que son nom
apparaisse enfin pour la première fois au générique d’un film
comme chorégraphe. Il obtient en effet ce titre sur Mad Killer que
réalise Ng See Yuen. C’est à cette occasion que les deux hommes se
lient d’amitié, Woo Ping travaillera sur la plupart des films de
son ami.
Lorsqu’en 1978 Ng See Yuen
produit son premier film pour sa nouvelle compagnie, la
Seasonal Film, il pense logiquement à Woo Ping pour le réaliser.
Avec pour star un inconnu, Jackie
Chan, les trois hommes vont frapper
un grand coup en proposant Snake In The Eagle Shadow (1977),
une Kung Fu comédie dont la formule va séduire le public.
Contrairement à Liu
Chia-liang, le grand maître de la kung fu comédie,
qui reste dans ces film très proche de la philosophie martiale, Woo
Ping préfère très vite n’en garder qu’une approche purement
spectaculaire, le kung fu s’apparentant chez lui à des numéros de
cirque. Dans Miracle Fignters (1981), il puise même son
inspiration dans la magie, les combats de kung fu devant des plus
loufoques, comme ceux qui mettent en scène un personnage enfermé
dans une jarre et dont seuls les mains et les pieds sont visibles.
Volontiers baroque, Woo Ping cultive l’aspect visuel de ses films
aux dépens de son récit. Extrêmement ludique, son cinéma multiplie
les morceaux de bravoure et les effets surprenants. Ainsi dans Dreadgnaught
(1981), le personnage principal est un curieux serial killer au visage
peint, qui grogne sa haine en tuant ses victimes.
Magnificent
Butcher (1979) et Drunken Master (1978) resteront sans
doute ses œuvres le plus accomplies. Mais les temps deviennent
difficiles au début des années 80 pour les réalisateurs et les chorégraphes
spécialisés dans les arts martiaux. Le public s’est lassé des
prouesses martiales et le polar devient, surtout après le succès de Syndicat
du crime (1986), le genre qui va dominer le cinéma de Hong Kong.
2. Les
années polar
La force, et en même temps la limite de Woo Ping, est de ne pas posséder
un univers personnel riche, une thématique ou une conception du cinéma
spécifique. En étant avant tout préoccupé de rendre le kung fu
spectaculaire, il n’aura pas trop de mal à adapter son style à de
nouveaux genres. Le polar triomphant, il va ainsi réussir à
s’imposer dans un sous-genre très populaire apparu au milieu des
années 80, le kung fu polar, un mélange de gunfights, de cascades et
de combats d’art martiaux. Grâce
son sens du spectaculaire, Woo Ping va devenir l’un des meilleurs
artisans de ce genre de film. Officiant aux combats du Sens du
devoir 3, à la réalisation du quatrième opus ou de la série
des Tiger Cage, il multiplie les morceaux de bravoure :
gunfight dantesque lors de l’ouverture de Tiger
Cage (la Rançon des
traîtres), combat sur une ambulance en mouvement ou dans une
cage d’ascenseur dans le Sens du devoir 4… Woo Ping remplit
parfaitement son contrat au point que ces films sont largement
distribués à travers le monde.
Le revers de la médaille reste que si Woo Ping est un bon amuseur,
ses polars ne sont que des suites de scènes d’actions. Le réalisateur
se contente de reprendre les thèmes à la mode comme la corruption ou
la rétrocession, ses scénarios ne servant finalement que de prétexte
à l’action. Dans ces conditions les personnages sont fades. Ils
reposent sur des clichés comme la flic droite et honnête, le
policier immature, des bandits cupides… Plaisants à voir, ses films
ne sont donc pas marquants. Woo Ping ne s’est contenté que de
reprendre à son compte une formule inventée par d’autres,
n’apportant au genre que son sens du spectacle.
3. Le
retour du kung fu
L’histoire est bien connue maintenant. Tsui
Hark ose s’attaquer au début des années 90 à une tradition
qui semble définitivement faire partie de l’histoire. En un film, Il
était une fois en Chine, il parvient pourtant à relancer le
cinéma d’art martiaux. Les chorégraphes retrouvent alors la
possibilité de mettre à profit leurs talents. La revitalisation du
genre initié par Tsui Hark passe par une représentation des combats
plus proche d’un esprit " comic book " que des
affrontements purement physiques que proposait le cinéma de Hong Kong
dans les années 70. Les combats sont dès lors plus aériens, moins réalistes,
plus spectaculaires.
Cette petite révolution, Tsui Hark l’imposera grâce au clan Yuen
et en particulier à Yuen Woo Ping qui travaille sur Il était une
fois en Chine et assure l’intégralité des scènes d’action
du deuxième opus. Parce qu’il est moins traditionaliste que
certains de ces confrères, Liu
Chia-liang notamment, parce qu’il est
avant tout porté par le spectaculaire, Woo Ping était l’homme de
la situation. Ce nouveau revirement montre bien à quel point
l’homme est un véritable caméléon. Il adapte son style au gré
des modes. Hier le polar, aujourd’hui le kung fu façon Tsui Hark.
Le succès des Il était une fois en Chine pousse
les producteurs dans une frénétique exploitation du filon,
permettant aux chorégraphes de revenir aux affaires. Tsui
Hark offre à Woo Ping de réaliser ce qui restera sans
doute son meilleur film récent : Iron Monkey.
Non seulement Woo Ping y excelle dans les scènes de combat
toujours plus spectaculaires, mais le
patron de la Workshop lui a donné un scénario très habile.
Tout en jouant sur la mythologie de Wong Fei Hung, le film
le montre enfant, le récit ne se contente pas d’aligner les
morceaux de bravoure. Avec son fond politique, sa relation
père/fils, un héros à la Zorro et ses personnages secondaires
touchants, il dépasse le simple divertissement et parvient
même à faire mieux que les derniers épisodes de la saga des
Il était une fois en Chine.
Woo Ping va alors enchaîner les films d’art martiaux à un rythme
effarant. Inégaux, parce que sans doute faits trop vite, Woo Ping
retombe également dans son travers des années 80. Si ses films
offrent leur quota de spectacle, ils restent globalement peu intéressants
sur le plan de l’histoire et les personnages se résument à des
clichés. Dans ces conditions, Wing Chung (1994), Hero Among Hero (1994) ou Fire Dragon (1994) déçoivent. La
présence de Jet Li et des combats particulièrement nombreux et réussis
font de Tai Chi Master, une œuvre agréable. Mais là encore
l’histoire et les personnages sont ultra prévisibles.
C’est finalement grâce à une nouvelle collaboration, avec Gordon
Chan cette fois, que Woo Ping réussit le très bon Fist Of Legend
(1994), un remake du célèbre Fist Of Fury de Bruce Lee, qui
propose une histoire et des personnages convaincants. Et une fois
encore le talent de chorégraphe de Woo Ping fait mouche. En
choisissant de revenir aux combats au sol, mené par un formidable Jet
Li, tout en conservant le rythme alerte des productions
contemporaines, Woo Ping impressionne une fois encore le spectateur
amateur d’arts martiaux.
4. Une
star internationale
Finalement Woo Ping n’est jamais meilleur que lorsqu’il travaille
avec un autre réalisateur. Ses plus grandes réussites, il les doit
à ses collaborations. Lorsque la mode du film en costume
s’essouffle, Woo Ping a l’intelligence de ne pas s’obstiner à
vouloir mettre en scène ou de vouloir aller contre la demande du
public. Il redevient le mercenaire du spectacle qu’il a toujours été.
En 1996, Tsui Hark le fait intervenir sur Black Mask,
l’adaptation d’un manga chinois. Et
une fois encore Woo Ping n’hésite pas à adapter son style à un
univers auquel il ne s’était jamais vraiment frotté. Alors que,
comme il y a dix ans, le cinéma d’art martiaux est menacé de
disparition Woo Ping est ainsi complètement épargné par la crise.
Fans du chorégraphe, les frères Wachowski font venir Woo Ping pour
les assister sur le tournage de Matrix, un film dont l’esthétique
doit beaucoup à Black Mask... A cette occasion ils lui rendent
plusieurs fois hommage, avec la scène d’entraînement notamment,
clin d’œil à Fist Of Fury. Grâce à Matrix, Yuen
Woo Ping devient un nom reconnu à travers le monde.
Au lieu de tenter sa chance aux USA, avec le risque de dilapider son
talent, Woo Ping préfère rester en Chine. En acceptant de chorégraphier
les combats de Tigre et Dragon, il frappe de nouveau un grand
coup et parvient même à éclipser la vedette au réalisateur. Il met
cette fois ces talents au service de combats qui mêle wu xia pian et
technologie numérique. Décidément, Woo ping aura tout essayé !
Le film fait un triomphe, mais Woo Ping est déjà sur d’autres
plateaux de tournage. Il travaille avec Tsui Hark sur la suite des
aventure du Black Mask…
Homme caméléon, sans univers
personnel particulier, Woo Ping n’aurait pu qu’être un simple
opportuniste et vendre ses talents aux plus offrants. A regarder son
parcours, même s’il a participé à des films très inégaux, il
aura toujours été en mesure de trouver régulièrement les bons
collaborateurs aux bons moments. Ses choix auront souvent été
judicieux. Pour continuer à rester dans le coup, il n’aura jamais hésité
à faire évoluer son style. C’est indéniablement une preuve que
cet homme a le cinéma dans le sang.
Laurent Henry (HKC)
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