Le
« Grand Frère » de Jackie Chan et
Yuen Biao est
un cas à part dans le cinéma d’arts martiaux, un physique
grassouillet qui aurait du le cantonner dans des rôles de
« copain sympa », une coupe de cheveux
"au bol" digne
de Duguesclin, mais dès que la caméra se met à filmer, il
devient un véritable phénomène bondissant et effectuant des
acrobaties invraisemblables sans la moindre difficulté. Comme
quoi les apparences ne cesseront d’être trompeuses…
Sammo
Hung Kam-Po est un acteur de très bon niveau, possédant un
sens de la comédie hors-pair, mais également un réalisateur
de plusieurs perles du cinéma d’action hongkongais, un
producteur, et l’un des plus grands chorégraphes de l’ex
colonie, et en plus de cela il est également scénariste de
plusieurs de ses films. Vous avez dit complet ? Il a su
traverser toutes les époques du cinéma de Hong Kong, quand
les modes ne faisaient que passer. Il a côtoyé les plus
grands : Bruce Lee, Jimmy Wang Yu,
Jackie Chan, Jet
Li,
il est un témoin de l’histoire des quarante dernières
années de cette cinématographie qui nous fait tant rêver.
UNE ENFANCE
TORTURE
Né
en 1950, Hung Kam-Po rentre très tôt à la China Drama
Academy et devient Yuen Lun. Dur et renfermé, il impose déjà
une certaine stature qui lui confère un rôle de petit chef
au sein de son académie. Il est le plus âgé de l’école
et s’impose comme le grand frère, quand le maître Yu lui
confie la surveillance des autres élèves, Yuen Lo (futur
Jackie Chan) et Yuen Biao subissent alors la loi de celui qui
non seulement est leur aîné, mais est considéré par le maître
comme le meilleur et le plus doué des élèves de l’académie.
En
1967 lors d’une banale séance d’entraînement, il se
blesse sérieusement à la cheville, ce qui le mettra au
rencard pour une longue période. Cette à cette période
qu’il se gavera de sucrerie et de pâtisserie, ce qui lui
donnera un certain embonpoint. A son retour à l’école après
une longue période d’inactivité, constatant son changement
de physique, maître Yu le mettra à l’écart du groupe,
ce qui aura tendance à mettre Yuen Lun dans une grande
frustration. Il se gavera deux fois plus et finira par être
purement et simplement congédié. Il quittera donc l’école
et reprendra le surnom donné par sa propre mère,
San-mao (qui signifie 3 cheveux, référence à son
enfance) deviendra Sammo.
Sa
grande frustration et son complexe se transformeront en rage
et il se met alors en tête de devenir le plus grand chorégraphe
de Hong Kong.
LES DEBUTS
Ses
débuts, il les fera aux côtés du chorégraphe de Han
Yingjie, le chorégraphe attitré de King Hu, en tant
qu’assistant. Il tiendra un rôle de garde du corps dans le A
Touch Of Zen de ce dernier.
En
1970, Raymond Chow vient de claquer la porte de la
Shaw
Brothers et crée sa propre maison de production, la Golden
Harvest. Il emmène avec lui les réalisateurs Lo Wei et Huang
Feng, l’acteur vedette Wang Yu et le génial chorégraphe
Han Yingjie. Ce dernier apprécie particulièrement Sammo et
le bombarde directeur des combats. A tout juste 20 ans ce
jeune homme au physique rebondi devient l’un des piliers de
la Golden Harvest et est reconnu dans le monde très fermé
des grands chorégraphes.
ANGELA MAO
L’épopée
des films de sabres chinois et sa féminisation par King Hu,
aura inspiré le metteur en scène Huang Feng qui fera de
l’actrice Angela
Mao, son égérie dans toute une série de
wu xia pian. Sammo sera directeur des combats pour des films
comme The Angry River,
Hapkido ou Lady
Whirlwind (Lady Tourbillon). C’est avec ce réalisateur, que Sammo
apprendra le métier de réalisateur. C’est également à
cette époque qu’il fera découvrir son petit frère, Yuen
Lo devenu Jackie Chan au réalisateur
Lo
Wei. Ce dernier fera
d’ailleurs de Jackie une sorte de poulain, pas toujours pour
son bonheur d’ailleurs, mais ça c’est une autre
histoire…
BRUCE LEE
La
Golden Harvest et le génie intuitif de Raymond Chow auront su
créer l’un des plus grands mythes de l’histoire du cinéma,
une étoile qui brille encore 40 ans plus tard, un acteur au
charisme de félin qui aura fait connaître le cinéma
hongkongais dans le monde entier, qui aura imposer le cinéma
d’arts martiaux aux yeux des occidentaux, qui demeure encore
actuellement une véritable référence, demandez à votre
grand oncle ou à votre belle mère de vous citer un nom
d’acteur de kung fu, il est fort à parier que cette
personne ne rechignera pas et que de but en blanc elle vous répondra
Bruce Lee !
En
1973, Sammo se retrouve face au petit dragon dans un combat mémorable
qui ouvre le bal du célèbre Enter
The Dragon (Opération Dragon), il ne démérite pas loin
de là. Il aura vraisemblablement était épanoui par
l’immense aura du petit homme au regard d’aigle et sera
fortement marqué pour tout le reste de sa carrière.
Cinq
années plus tard, Sammo Hung sera régleur des combats et
assistant du réalisateur Robert Clouse sur le très contesté
Game Of Death (Le Jeu De
La Mort) et réalisera un hommage plus qu’honorable à
Bruce Lee avec l’excellent Enter
The Fat Dragon.
DE
KING HU A WANG YU EN PASSANT PAR JOHN WOO
Juste
après le tournage de Enter
The Dragon (Opération Dragon), Sammo Hung retrouve
King
Hu pour régler les combats de The fate Of Lee Khan (L’Auberge du Printemps). Il collabore
ensuite au Manchu Boxer de
son futur ami Wu Ma. Puis enchaîne toute une série de films
en tant qu’acteur ou chorégraphe, notamment un Dragon
Tamers qui a la particularité de voir débuter derrière
la caméra un certain John Woo…
En
1975, Jimmy Wang Yu le choisit pour régler les combats de
l’international Man From Hong Kong (L’Homme de Hong Kong) co-réalisé par
l’australien Brian Trenchard-Smith. Sammo est fasciné par
l’ex sabreur manchot de Chang
Cheh, sa carapace de dur à
cuire et ses fréquentations douteuses amèneront Sammo à vouer
une certaine admiration pour les bandits et autres malfrats.
Il
enchaîne ensuite avec le Hand
Of Death de John Woo, dans lequel il retrouve ses frères
de l’opéra de Pékin, Jackie Chan et
Yuen Biao.
LA KUNG FU
COMEDIE SELON SAMMO
De
ses collaborations avec le réalisateur Huang Feng, naîtra
une grande envie de passer derrière la caméra. Ce sera chose
faîte en 1977, lorsqu’il réalisera Iron-Fisted
Monk (Le Moine d’Acier).
La
comédie kung fu, naît de l’inspiration du génial Liu Chia-liang aura donné plusieurs rejetons. Deux de ses rejetons,
particulièrement doués passeront derrière la caméra, Yuen
Woo Ping qui suivra la Wude, vertu martiale à tendance éducative
prônée par l’art martial et mis en image avec respect par
Liu Chia-liang, et Sammo Hung qui à force de fréquenter des
animaux sauvages, Bruce Lee, Wang Yu,
et d’avoir subit
multiples affronts, reportera son agressivité et son esprit
torturé sur cette honorable philosophie. Bafouant les règles
de
l’art, Sammo déversera des torrents de jurons enveloppés
dans un humour plus que douteux, et développera une violence
proche des carnages de Chang Cheh dans ses œuvres.
Iron
Fist Monk montre un viol filmé avec vue subjective et en
temps réel, des combats d’une rare violence et bafoue déjà
la sacro-sainte règle du Wude. Au-delà
de ces considérations purement éthiques, ce film est une
grande réussite et demeure, grâce à une mise en scène
nerveuse et plutôt maîtrisée, des combats hautement chorégraphiés,
encore aujourd’hui une référence du genre.
La
même année il collaborera avec Karl Maka et marquera le début
d’une collaboration qui donnera quelques perles de la kung
fu comédie.
L’année
suivante, il prend la plume et écrit le scénario de son
second film Warriors Two. Encore une fois, il détourne les vrais valeurs de
l’art martial au profit d’une histoire de traîtrise. Son
esprit torturé se complaît dans l’absurdité et la cruauté.
Il engage Casanova Wong, véritable champion, et l’acteur réalisateur
frère de Liu Chia-liang, Liu Chia-Yung, plus connu sous son
nom cantonais de Lau Kar Wing. Le film se révèle une
nouvelle fois être une grande réussite formelle et surpasse
même son premier film qualitativement. La comédie Kung Fu
selon Sammo Hung, celle qui détourne la vertu martiale au
profit d’une certaine noirceur et une dérivation absurde
des valeurs prônées par l’art suprême, est désormais
labellisée. Elle éclatera cinq ans plus tard dans une œuvre
géniale, véritable bijou du cinéma d’arts martiaux, peut-être
LA plus grande comédie kung fu jamais réalisée, Prodigal
Son…
KARL MAKA ET
LAU KAR WING, LES COPAINS DE JEU
Avant
de donner son manifeste, Sammo aura à plusieurs reprises
collaboré avec le divin chauve, Mak Kar, alias Karl Maka dans
des comédies à l’humour pas très fin, mais avec toujours
le même souci d’amuser le public, et tout cela avec une
certaine réussite. Des films comme The
Odd Couple, réalisé par Lau Kar Wing qui montre Sammo en
sifu, puis en élève et l’acteur réalisateur frère de Liu
Chia-liang dans la position inverse ou Dirty
Tiger, Crazy Frog une comédie kung fu lorgnant du côté
du western spaghetti tendance Bud Spencer / Terence Hill, avec
tronches patibulaires et grandes claques dans la gueule. Des séries
B assez bien torchées qui se présentent comme des sous
produits qui mettent en avant les exactions d’un Sammo
cabotin. Des films qui sans atteindre les sommets du genre
s’en sortent aisément.
La
même année, Sammo aura mis sur pied son hommage à Bruce Lee
avec l’excellent Enter
The Fat Dragon, dans lequel il reprend le rôle du petit
dragon en faisant dériver l’histoire vers une comédie à
l’humour gras. Malgré cette tendance à la légèreté, ce
film reste, j’en suis persuadé, qualitativement largement
supérieur à son modèle, et Sammo y réussit une performance
exceptionnelle. Un joyau à découvrir de toute urgence.
YUEN WOO PING
La
rencontre n’aura pas tardé à s’effectuer avec l’autre
grand auteur de la comédie kung fu, en l’occurrence Yuen
Woo Ping. The
Magnificent Butcher (Le Héros Magnifique) est un subtil
film jouant sur le mythe du héros chinois Wong Fei Hung.
Sammo y interprète le rôle du fameux boucher volant Lin
Shirong disciple d’un Wong Fei Hung interprété par le vétéran
Kwan Tak Hing. Le film est une grande réussite et propose des
combats hallucinants, mettant en valeur les énormes qualités
martiales d’un Sammo Hung dans un rôle de gaffeur de première.
A la vue de ce film, on comprend mieux pourquoi Sammo Hung est
considéré comme un véritable phénomène et un acteur
pratiquant de très haut niveau. Après cela il réalisera un
excellent Knockabout dans
lequel il donne le premier rôle au petit frère Yuen Biao, et
collaborera une nouvelle fois avec Karl Maka pour le moyen By Hook Or By Crook. Puis il donnera un nouveau joyau à la comédie
kung fu avec l’excellent et injustement oublié The Victim .
LA GHOST KUNG
FU COMEDY
Au
delà de ses énormes capacités physiques et son sens affûté
de la réalisation, Sammo possède une certaine fibre créatrice
et un véritable talent de scénariste. La preuve en est
apporté, lorsqu’il dépose sur le bureau de Raymond Wong,
un script mêlant habilement la comédie kung fu à un autre
genre bien particulier, inspiré des contes et légendes qui
font trembler dans les chaumières, le film d’horreur. Ce
détonant
mixage donnera à l’industrie hongkongaise un nouveau
sous-genre qui fera naître des centaines de rejetons, la
Ghost Kung Fu Comedy. Certainement inspiré du chef d’œuvre
de Roman Polanski Le Bal
Des Vampires, naîtra Encounter
Of The Spooky Kind (L’Exorciste Chinois). Après cela le
spectateur devra s’habituer à voir défiler vampires et
fantômes, les gyonshis envahiront l’écran.
L’acteur
Lam Ching Ying, autre grand témoin de l’époque Bruce Lee,
rentrera définitivement dans la peau du fat-si (l’exorciste
en question), un moine taoïste représentant le dernier
rempart contre les forces du mal, utilisant riz gluant et
autres artifices pour combattre les suceurs de sang. Le Van
Helsing chinois vient de naître sous les traits de cet
immense acteur et l’instigateur de cette idée de génie est
Sammo Hung ui-même.
Une
suite, assez largement supérieure sera donnée dans la foulée
à ce Encounter Of The Spooky Kind, Sammo confiant la réalisation à
Ricky Lau.
En
1982, il produira, écrira et jouera dans The
Dead And The Deadly (La Fureur Du Revenant), une nouvelle
Ghost Kung Fu Comedy, réalisée par le vétéran Wu
Ma, puis
une comédie d’action avec Frankie Chan Carry
On Pickpocket.
PRODIGAL SON
L’année
suivante est celle de la consécration, Sammo délivre son
manifeste, un film de kung fu monumental qui utilise les
vertus de l’art martial tout en les détournant pour mieux
les faire voler en éclats. Son titre Prodigal
Son.
La
comédie kung fu comme tout autre genre a ses auteurs, ses créateurs,
elle possède ses codes et est source d’inspiration pour les
artistes martiaux les plus accomplis. Sammo Hung est devenu
avec le temps, l’équivalent d’un Liu Chia-liang, ce
dernier étant considéré comme le maître incontesté. Un égal,
à la différence prêt que les vertus éducatives prônées
par Liu ne sont pas l’apanage de Sammo, trop torturé, trop
déçu, trop désabusé, le mafflu en détourne les préceptes
à des fins plus radicales, moins positiviste il éclate les
perspectives, souillant les fondements de l’art suprême
pour les enfermés dans un univers où les vrais valeurs ne
sont pas assez fortes pour triompher. En cela son Prodigal
Son est un véritable modèle du genre, son manifeste, sa
conception iconoclaste du cinéma d’arts martiaux. Montrant
un héros, Yuen Biao qui n’est en réalité qu’un bouffon
dont le richissime père achète la réputation, il accélère
un processus de dénaturation du genre dans la seconde partie
du film, démontant pièce par pièce ce qu’il avait mis en
place dans la première partie. Il met en avant
une véritable négation qui pourrait s’apparenter à
une forme de nihilisme et fait pencher ce qui était
jusqu’alors une comédie dans un drame brutal et sans
concessions. Il fait également preuve d’une grand théâtralité,
introduisant le monde du spectacle dans toutes ses formes,
allant jusqu’à faire exploser les perspectives du spectacle
extrême appelé grand guignol dans une scène de meurtre
d’une brutalité ahurissante, la scène d’égorgement des
protagoniste du théâtre.
Affublée
de tous ces aspects négationnistes, cette géniale démonstration
est appuyée par un jeu remarquable de ses principaux interprètes,
Lam Ching Ying, Yuen Biao et Sammo lui-même y sont
fantastiques, et ne parlons même pas de Frankie Chan qui est
tout simplement génial. Les combats atteignent des sommets
quasiment jamais vus sur un écran, on vient de toucher au
suprême, Sammo est définitivement un grand.
SUITE
Philippe,
Juillet 2003
A
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J-L
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