Histoire
: Un
acteur d'opéra chinois se rend compte que sa femme
lui préfère un petit parrain. Furieux, il se
rend chez lui, le menace à grands renforts d'arts martiaux
et l'humilie. Mais son geste ne restera pas impuni : un piège
lui est tendu et il meurt dans d'atroces souffrances. Un mystérieux
homme arrive alors en ville et pose beaucoup trop de questions
au goût de la pègre locale. C'est son frère,
il est venu pour le venger...
Critique
de David-Olivier : Vengeance
! est un des plus grands succès de la Shaw Brothers
des années 70 (avec One Armed Boxer),
un film très noir, pessimiste et à la mise en
scène "claustrophobique" qui rapportera à
Chang
Cheh le prix
de la mise en scène et à David
Chiang
le
prix d'interprétation masculine au Asia-Pacific Film
Festival de 1970. C'est une oeuvre dure, oppressante, aussi acérée
qu'un couteau, véritable exercice de style
qui ne s'embarrasse d'aucun scénario élaboré.
Celui-ci suit simplement la trame d'un film policier américain
de série B, jeu de massacre au cours duquel le héros
remonte une organisation criminelle jusqu'à sa tête
afin de la faire tomber. Il suffit de rajouter à ce
point de départ la thématique favorite du cinéma
de Hong Kong, la vengeance, et le scénario est ficelé
! Ce n'est donc pas de ce côté qu'il faudra chercher
et trouver la richesse du film... Côté personnages,
rien de révolutionnaire non plus. Les protagonistes
sont monolithiques, enfermés dans les stéréotypes
classiques de ce genre de production : bons, méchants,
traîtres, puissants... Les femmes sont parfois dangereuses
dans Vengeance
!, déterminées
toujours. C'est par leur faute que les deux frères
seront séparés par la mort et seule la vengeance,
prise en main par un homme, leur permettra de se retrouver
de l'autre côté du miroir.
Bien que partageant la tête d'affiche avec David
Chiang, Ti
Lung
n'apparaît qu'une vingtaine de minutes, le temps de
nous démontrer quel grand artiste - martial - il est
: de la danse qu'il effectue en plein opéra chinois
aux joutes à poings nus contre une armée d'assaillants.
Comme d'habitude chez Chang
Cheh, le héros
se doit de mourir torse nu, lentement et dans d'atroces souffrances
(pour le coup d'une intensité gore rarement atteinte
à l'époque...). Avant de rendre son dernier
souffle, il aura eu le temps de régler leur compte
à quelques dizaines de combattants, une hache plantée
dans l'abdomen !
David
Chiang,
la mèche au vent dans son costume blanc (*) maculé
de sang, reprend son rôle de héros ténébreux
prenant la pose au détour d'une figure martiale bien
sentie. Le spectateur est témoin de la construction
d'un mythe, d'une figure qui, au final, frappera plus les
esprits que celle de Ti
Lung.
Ce dernier, quant à lui, essaya de se diversifier un
maximum en n'hésitant pas à revêtir le
costume du méchant (Blood
Brothers) ou
à jouer les faibles (Empress
Dowager et The
Last Tempest).
La différence ultime entre l'acteur et le cabot ? Les
limites dramatiques de David
Chiang apparaissent
clairement au cours des scènes romantiques à
l'occasion desquelles il a des difficultés à
se placer et a étrangement l'air benêt. La castagne,
oui, l'art dramatique, une autre fois !
Les chorégraphies sont très violentes et bien
maîtrisées par l'éternel complice de Chang
Cheh, Tong
Gaai,
cette fois-ci sans sa moitié Liu
Chia-liang
(on sait que le grand chorégraphe répugne à
utiliser à outrance la violence dans les combats qu'il
crée ; son absence du générique est peut-être
due au désir du metteur en scène de
représenter cette violence de manières abondante
et graphique). Chang
Cheh découvrait
à l'époque les techniques du Hung Fist et du
Wing Chun, toutes deux appartenant à "l'école
du Sud", et souhaitait les mettre en scène dans
ses films (ce qu'il fit avec Vengeance !, mais aussi
The Boxer From Shandong). L'utilisation
d'inserts en noir er blanc, d'extraits d'opéra chinois
(afin d'appuyer la mort des héros et le côté
théâtral de leur chute, Chang
Cheh dresse
des parallèles avec des scènes d'opéra
; l'effet est particulièrement réussi dans la
séquence qui voit Ti
Lung
se faire attaquer par une meute assoiffée de sang)
et de ralentis (**) donne une force brutale aux combats. Ces
"expérimentations" d'alors seront reprises
maintes et maintes fois dans les productions à venir.
On pourra noter dans la mise en scène un mélange
de scènes d'extérieurs - toujours agréables
- et d'intérieurs, avec une fascination pour les escaliers,
lieux très théâtraux, cinégéniques
et particulièrement appréciés des réalisateurs
(Eisenstein, de Palma...) : descente aux enfers mais aussi
élan pour porter l'estocade finale.
Vengeance !
peut être appréhendé
comme une oeuvre de transition dans la carrière de Chang
Cheh. Avec
ce film, il s'éloigne quelque peu de son genre de prédilection,
le film de sabres, qui l'a rendu célèbre au
cours des années 60 (même si il réalisera
encore de nombreux films d'arts martiaux et wu xia-pian) et
s'amuse à mélanger les genres : arts martiaux
"fist and leg", armes blanches, pistolets, fusils
(les armes à feu étaient alors complètement
bannies des films d'arts martiaux : elles représentaient
le déclin occidental, la machine prenant l'ascendant
sur l'humain)... tout y passe ! Mention spéciale à
la présence incongrue, presque anachronique (nous sommes
en 1925 !), d'un tueur à gages muni d'un fusil à
lunette. Chang
Cheh ouvrait
alors une brèche dans laquelle s'engouffra un certain
Bruce Lee avec le succès qu'on connaît... Un
de ses regrets a été que la vague Bruce Lee
a tout balayé sur son passage et a forcé le
cinéma hongkongais à se cantonner des années
durant dans le style kung-fu. Vengeance ! n'était
pour lui qu'une étape vers un but qu'atteindra ironiquement
un de ses élèves, John Woo, la définition
d'un nouveau genre, le "gunplay".
En
conclusion, il faut voir en Vengeance ! un pur film
esthétique où l'histoire et les personnages
restent secondaires. C'est peut être sa force, mais
c'est aussi sa limite, l'empêchant d'atteindre ainsi
le rang de chef d'œuvre.
(*)
La couleur blanche est, dans l'opéra classique chinois,
la couleur du héros. C'est un costume d'étudiant
que David
Chiang porte
dans Vengeance ! (un costume "Zhongshan"),
habit dont s'inspirera Bruce Lee dans Fist Of Fury.
(**) Dans un entretien publié dans l'excellent livre
"The Making Of Martial Arts Movies - As Told By Filmmakers
And Stars" (Hong Kong : Provisional Urban Council, 1999
- Hong Kong Film Archive), Chang
Cheh raconte
que c'est à l'occasion de The
Magnificent Trio
(1966) qu'il a utilisé pour la première fois
le ralenti, mais que c'est suite à la vision de Bonnie
And Clyde (id., Arthur Penn, 1967) et The Wild
Bunch (La Horde Sauvage, Sam Peckinpah, 1969) qu'il
a perfectionné sa technique et a pu l'utiliser à
un niveau qu'il juge satisfaisant dans Vengeance !.
Galerie
de photos - Fiche DVD
|