Hongkongais d'origine, Jeff Lau part étudier l'art en Angleterre.
De retour à Hongkong, il travaille dans une agence de publicité
pour une compagnie financière, puis il devient l'administrateur
d'une société de production cinématographique avant de se lancer,
en 1987, dans la réalisation d'un premier film Hanted Cop Shop.
Dès lors il se consacrera au cinéma en s'investissant dans une
trentaine de projets comme réalisateur, scénariste, producteur et
parfois même acteur, cumulant souvent plusieurs de ces fonctions.
L'œuvre
de Jeff Lau s'est bâti au grès des modes qui se sont succédées
à Hong Kong. Il débute sous les hospices de la ghost comedy avec Hanted
Cop Shop (1987) et sa suite (1988) au moment où triomphe la
saga des Mr Vampire. Après le succès de God Of Gambler
(1989) de Wong Jing, il réalise quelques
films de jeu dont le plus célèbre est All For The Winner
(1990) avec Stephen Chow
Sing-chi. Il profite ensuite du retour en force des films en
costumes pour mettre en place des projets comme Fist Of Fury 91
(1991), toujours avec Stephen
Chow. Il en réalise également lui-même. En 1993, il parodie Ashes
Of Time avec Eagle Shooting Heroes et, en 1995, A
Chinese Odyssey 1&2 met en scène les aventures du fameux
roi des singes.
Ses films mélangent volontiers
plusieurs genres. Le plus souvent ils comprennent de l'action,
de la romance et de la comédie. Si ce cocktail est assez
commun dans le cinéma de Hongkong, les mises en scène
de Jeff Lau sont bien supérieures à la moyenne. Pour l'action,
il s'est s'entouré d'excellents chorégraphes. Il a travaillé
notamment avec Corey Yuen,
Samo Hung ou Ching
Siu-tung. Leurs savoir-faire lui ont
permis de se démarquer du tout venant dans ce domaine
et certaines scènes d'action de ses films sont réellement
spectaculaires. Pour preuve l'incroyable scène d'ouverture
de Eagle Shooting Heroes dans laquelle Samo
Hung orchestre un combat hystérique et parodique,
qui ne l'empêche pas d'être d'une remarquable précision.
Sans être le pivot de l'intrigue,
la romance n'est jamais négligée. La force de Jeff Lau
est d'être capable de changer de ton rapidement et d'installer
avec efficacité un moment de tension dramatique ou de
mettre en place une scène émouvante. Dans Treasure
Hunt (1994), il se permet même de développer plus
longuement que d'habitude la romance et réussit quelques
belles scènes comme celle qui voit les deux amants, Chow
Yun-fat et Wu Chien-lien, voler au milieu des flocons
de neige ; un bel hommage à une scène similaire de Swordsman
2 (1992) où Jet Li
et Brigitte Lin se " promenaient " de la même
manière au milieu des arbres et des pétales de fleur…
Mais
c'est avant tout la comédie et l'humour qui dominent,
à de quelques rares exceptions près, dans ses films. Adepte
de la parodie et de l'humour non-sensique, il ne serait
pas juste de l'assimiler à un personnage comme Wong
Jing. L'humour de Jeff Lau n'est que rarement vulgaire.
Il affectionne plutôt les extravagances visuelles et les
délires dans la veine d'un Tex Avery. Gant de boxe géant
écrasant un personnage dans 92 Legendary La rose Noire,
(1992) personnage explosant un bâton de dynamite à la
main lors d'un entraînement anti-fantômes dans Out
Of The Dark (1995),… on pourra trouver lourde cette
manière d'imager ce qui relève d'habitude de la bande
dessinée ou du cartoon. Pourtant elle témoigne du rapport
ambigu et complexe que Jeff Lau entretient avec le cinéma.
Ces exagérations l'humoristiques, renforcées même parfois
par la mise en évidence des procédés cinématographiques,
réduit le cinéma à un art illusoire de la représentation.
Mais en même temps ce refus du cinéma comme art du réel
est contrebalancé par la fascination que manifeste Jeff
Lau pour cette capacité magique du cinéma à rendre possible
ce qui ne l'est pas dans la réalité. Si les situations
cartoonesques en sont l'expression la plus extrême et
la plus grotesque, d'autres scènes dégagent une véritable
poésie en matérialisant ce qui relève
de l'imaginaire. Dans Treasure Hunt, cette capacité
qu'offre le cinéma est même incarnée par une femme. Celle-ci
a en effet le pouvoir, par l'intermédiaire d'un tiers,
de rendre réel ce à quoi pense cette personne. Et c'est
ainsi que la chevelure de Chow
Yun-fat se transforme en jardin fleuri, que les amants
volent ou qu'une balle de base-ball se met à suivre des
trajectoires imprévisibles ! C'est dans cette adhésion
consciente à une transfiguration poétique et ludique du
réel par l'imaginaire que le cinéma de Jeff Lau tire sa
force et son intérêt.
Réalisateur plus subtil qu'on ne
pourrait croire, c'est en tout cas un vrai cinéphile. Ami de Wong
Kar-wai, il monte avec lui la boite de production Jet Tone. Il
produit Fallen Angel (1995). Au début de Out Of The Dark,
Karen Mok arbore d'ailleurs la même perruque jaune que dans le film
de Wong Kar-wai (sans doute devait-elle
passer d'un plateau à l'autre…) et danse au rythme des images de Chungking
Express qui passe à la télé… Mais les deux hommes vont
surtout collaborer sur deux parodies célèbres : 92, Legendary
La Rose Noire et Eagle Shooting Heroes. Contrairement à Stephen
Chow qui parodie volontiers les succès américains, Jeff Lau
rend hommage à travers ces deux films au cinéma cantonais passé
et présent en y portant un regard tendre et amusé. Si on y ajoute A
Chinese Odyssey, il est clair qu'il a contribué, comme Tsui
Hark, plus modestement certes, à réactiver une partie du
patrimoine culturel cantonais et chinois.
Malheureusement Jeff Lau n'a
jamais réussi à réaliser un chef d'œuvre indiscutable. Certains
de ces films sont très réussis, mais il y a toujours quelques
longueurs ou quelques temps morts. Incapable de soutenir le rythme
de bout en bout, il n'a sans doute pas la stature d'un John Woo,
d'un Tsui Hark ou d'un Wong
Kar-wai. Néanmoins son œuvre mérite qu'on s'y attarde, car
au-delà de ces imperfections, l'humour et la poésie qu'elle recèle
procure un plaisir qu'il est rare de trouver ailleurs.
Laurent HENRY - juin 1999 |