Né au Vietnam en 1951, Tsui Hark a étudié
le cinéma au Texas dans les années 70, avant de devenir l’un des
cinéastes majeurs du cinéma de Hong Kong de ces vingt dernières
années. Auteur d’un parcours tout à fait exceptionnel en tant
que réalisateur, producteur, scénariste, monteur, musicien et
parfois même acteur, cet homme cinéma s’est engagé dans une
soixantaine de projets dont certains comptent déjà parmi les
incontestables chefs d’œuvres du cinéma cantonais.
Sa
carrière cinématographique commence en 1979. Il appartient alors
à cette nouvelle génération que la critique a désignée sous le
terme de "nouvelle vague". Sans rapport véritable avec le
mouvement français du même nom, elle désignait un groupe de
jeunes cinéastes formés à l’étranger et à la télévision qui
voulait rompre avec la monotonie des productions du cinéma hongkongais de l’époque. Tsui Hark a réalisé trois films durant
cette période, Butterfly Murders, We’re Going to Eat
You et Don’t Play With fire, trois films extrêmement
agressifs et provocateurs qui révèlent un réalisateur
iconoclaste, nihiliste et sans concession.
Si les premières œuvres du cinéaste
ont marqué les critiques, le public les a bien évidemment
rejeté sans appel, jugeant sans doute inacceptable l’audace
dont elles faisaient preuve. Prisonnier d'un nihilisme
sans issu, fragilisé par l'absence de succès au box office,
Tsui Hark se résout à changer complètement d’orientation.
En 1981, il entre à la Cinema City, la maison de production
de Karl Maka, dont
les comédies battaient tous les records de recette à cette
époque. Ce changement lui permet de connaître ses premiers
succès commerciaux et de retrouver la confiance des financiers.
Mais peu disposé à jouer les mercenaires
très longtemps, Tsui Hark a un projet très ambitieux.
Face à la montée en puissance du blockbuster hollywoodien
moderne que sont en train d'inventer les Lucas et autre
Spielberg à cette époque, il veut offrir une réponse chinoise
à Hollywood, utiliser les techniques modernes pour les
mettre au service de sa propre culture. Il décide alors
de réaliser Zu, les guerriers de la montagne magique
(1983), l'adaptation d'un classique de la littérature
fantastique chinoise, en faisant appel à des techniciens
occidentaux pour mettre oeuvre les effets spéciaux que
nécessite un tel film. Production chaotique, difficulté
à maîtriser les nouvelles techniques comme le blue screen,
pression de la Golden Harvest pour sortir le film à l'occasion
du nouvel an chinois, Tsui Hark est obligé de rendre sa
copie trop tôt à son goût. L'échec commercial de cette
tentative l'oblige à retourner au cinéma purement commercial.
Il prend les commandes de Mad Mission 3 (1984).
Mais encore une fois la production, sous la houlette de
Karl Maka, l’empêche
de développer ses propres idées.
Déçu par l’attitude des
maisons de production, Tsui Hark n’a pas d’autre choix que de créer
sa propre société. Il saute le pas en 1984, lorsqu’il fonde la
Film Workshop, un studio qu’il envisageait au départ comme une
sorte de laboratoire qui devait donner aux réalisateurs les moyens
de mener à bien leurs projets personnels. Avec la Film Workshop, la
carrière de Tsui Hark prend une fois encore un nouveau tournant.
Après l’attitude iconoclaste des débuts, puis le passage dans le
tout commercial, le réalisateur devient une sorte de contrebandier,
jouant sur les attentes du public pour mieux le mener là où il
veut l’emmener (Once Upon A Time In China), tentant les
coups les plus audacieux (The Blade) ou revenant à un cinéma
commercial (Tri-Star), selon les nécessités de la
conjoncture. Mais surtout la Workshop permettra à Tsui Hark de
concrétiser le projet qu'il avait commencé à mettre en place avec
Zu. La plupart des productions
Workshop chercheront en effet à remettre au goût du jour les
divers aspects de la culture chinoise dans le but de faire du cinéma
de Hong Kong une réponse locale et compétitive au cinéma américain.
Tsui Hark aura lui-même le parcours d'un véritable encyclopédiste,
revisitant les grands genres, les grands thèmes et les grandes
figures de cette culture.
Pendant
une dizaine d'année le pari s'avèrera payant. Même si ses
collaborateurs ont souvent souffert du comportement despotique du réalisateur
devenu également producteur, Tsui Hark a réussi à donner un
nouveau souffle à l’industrie locale en relançant le
polar avec A Better Tomorrow en 1986, le film en costumes
avec Histoires de fantômes chinois en 1987, le film de sabre
avec Swordman en 1990 et le film de kung fu avec Once Upon
A Time In China en 1991.
Pour ce faire, il a habilement
utilisé les meilleurs réalisateurs, acteurs et techniciens de la
colonie, créant même la Cinefex, une société d’effets spéciaux,
dans le but d’améliorer au maximum la qualité de ses
productions. Tsui Hark est ainsi parvenu à plusieurs reprise à
imprimer son style à la production locale (La troisième du monde
quand même), le succès des films de la Workshop attirant l’appétit
des autres maisons de production en mal d’inspiration.
Dans cette conjoncture, la Film
Workshop est devenue une sorte de phare où les artistes
locaux les plus marquants ont débuté ou ont donné le meilleur
d’eux même. Les plus grands cinéastes de la colonie comme
John Woo, Ching Siu-tung, Yuen
Woo-ping, Kirk Wong, Ringo Lam y ont souvent signé
(parfois avec l’aide du maître) leurs meilleurs films.
Des techniciens s’y sont fait un nom, comme l’excellent
monteur David Wu. Quant aux acteurs, bon nombre d’entre
eux s’y sont révélés comme Chow
Yun-fat, Leslie Cheung ou Chiu Man Chuk. Et d’autres
y ont vu leur carrière relancée comme ce fut le cas pour
Jet Li ou Brigitte
Lin. Même Jackie
Chan s’est frotté au système mis en place par Tsui
Hark, tant la formule semblait irrésistible au début des
années 90.
Pendant toute cette période,
Tsui Hark a alterné réalisations et productions en intervenant très
régulièrement sur les films des réalisateurs qui travaillaient
pour lui. Et il faut bien reconnaître que cette stratégie
autoritaire s’est souvent avérée payante. Même si le succès
n’a pas toujours été au rendez-vous et si de nombreux
collaborateurs ont quitté la société à cause du caractère
tyrannique de son patron, les films " workshop " possèdent
presque tous un style et une personnalité qui les place au-dessus
du reste de la production hongkongaise.
Après la frénésie du début
des années 90, une grave crise s’est abattue sur le cinéma de
Hong Kong. Concurrencé par le cinéma américain, victime des
Triade, du piratage et de la crise écomique de 1997, il a vu chuter
d’une façon alarmante le taux de fréquentation des salles. La
Film Workshop dont les activités s’étaient recentrées sur les réalisations
de Tsui Hark depuis 1994, n’est pas épargnée par cette crise. Le
réalisateur a pourtant bien tenté d'utiliser sa formule en allant
explorer de nouveaux aspects de la culture chinoise avec un retour
au film de sabre (The Blade) ou de relancer le film
d'animation chinois (A Chinese Ghost Story, The Animated Movie).
Mais le public n'a pas suivi. Sans doute parce que Tsui Hark s'est
fait aussi plus radical au fil du temps en utilisant un langage cinématographique
plus complexe et en intégrant une dimension philosophique plus présente
dans son propos. Moins commercial, il doit en plus faire face à une
population hongkongaise de plus en plus influencée par les cultures
étrangères.
Après
une rapide tentative à Hollywood où le cinéaste n'a pu se résoudre
à se plier aux exigences du cinéma mondialisé, Tsui Hark est
revenu à Hong Kong. Face à une industrie locale qui n'a trouvé le
salut que dans son éternel star system et la comédie dramatique,
le terrain le moins concurrencé par Hollywood, il persiste dans sa
démarche. Time And Tide (2000), Master Q 2001 (2001)
et la Légende de Zu (2001), continue à explorer la culture
chinoise sous toutes ses formes en utilisant les techniques les plus
modernes. Mais le public local reste peu intéressé.
De moteur de la production locale,
Tsui Hark est devenu un marginal. En même temps, sur le plan
international, il conserve une certaine renommé, propre à attirer
les capitaux. Pour l'instant, il parvient à trouver des
financements pour ses projets tout en conservant son indépendance. Entre
un film à visée international, Black Mask 2, et un nouvelle
incursion dans l'univers du kung fu traditionnel, Sword Master,
qui aura pour directeur des combats Liu
Chia-liang, Tsui Hark essaie
de jouer sur les deux tableaux. Un travail d'équilibriste dangereux
mais courageux, pour un réalisateur visiblement encore très créatif
après un parcours pourtant déjà très long.
Laurent
HENRY (Novembre 1998 - corrigé Août 2001) |