1.
Avant Celestial |
Les
films de la Shaw Brothers sont mythiques à plus d’un titre. Tout
d’abord, parce qu’ils regroupent ce qu’en matière de cinéma,
Hong Kong a fait de mieux durant les décennies 60 et 70 : arts
martiaux, drames, polars, comédies, comédies musicales… Ensuite,
par l’organisation même du studio : un véritable empire bâti
autour d’une superbe baie (Clearwater Bay), constitué d’énormes
plateaux de tournage, d’immenses décors construits en « dur »,
d’immeubles d’habitations pour les employés, de magasins et de
bâtiments administratifs. Une ville-empire à laquelle sont liés,
contractuellement et pour longtemps, acteurs, réalisateurs et
techniciens. Enfin, les films de la Shaw Brothers sont mythiques du
fait de la quasi impossibilité de les revoir, sur support officiel
et en format original, depuis plus de vingt ans (certains ne sont même
jamais ressortis au cinéma ou n’ont jamais été diffusés à la
télévision depuis leur sortie initiale !).
Comment
expliquer cette situation ? Le vieillissement ou la défection
des grosses stars Shaw Brothers au début des années 80 dégoûtées
par le côté « esclavagiste » développé par la maison,
la concurrence de nouveaux studios plus jeunes offrant plus
de libertés et de meilleurs salaires (Golden Harvest, fondé
par le dissident Raymond Chow, ou Cinema City fondé par
Karl Maka), l’évolution des goûts d’un public de plus
en plus portés vers la « kung-fu comédie », genre
à côté duquel la Shaw Brothers est complètement passée, etc.
Du coup, les frères Shaw vont se retirer petit à petit de
la production cinématographique (un film de temps en temps,
cependant, tels à Hong Kong Hero
de Corey Yuen
ou Lifeline de
Johnnie To, mais aussi la coproduction du Blade Runner
de Ridley Scott !) et investir leur fortune dans l’immobilier
et leur chaîne de télévision câblée. C’est tout un patrimoine
qu’il délaisseront pendant ces années, en refusant même toute
offre d’exploitation extérieure.
Ainsi,
durant plus de vingt ans, une éventuelle sortie des films de la
Shaw Brothers sur support vidéo a fait fantasmer des millions de
fans de cinéma hongkongais. Quelques titres étaient cependant
disponibles, principalement aux Etats-Unis et à Taïwan, en VHS ou
DVD. Mais ces produits, qu’on trouve encore aujourd’hui (plus
pour longtemps, les avocats Shaw et Celestial s’étant réveillés !),
étaient réalisés à partir de copies abîmées, sales et doublées
en anglais. Elles proposaient de surcroît le film en format recadré
plein écran (problématique pour les films d’arts martiaux tournés
dans le glorieux « Shawscope »). Mais était-il
seulement possible de résister lorsqu’une envie subite de découvrir
36th Chamber Of Shaolin vous prenait ?
On en
était là au début du troisième millénaire.
|
2.
Celestial Pictures, espoir des cinéphiles |
Voilà
plus d’un an que la rumeur allait bon train : la Shaw
Brothers était en train de négocier les droits de son catalogue
avec une société hongkongaise, Celestial Pictures, dans
l’objectif de les distribuer commercialement. Emois, discussions
fleuves sur les forums spécialisés du net, conjectures, espoirs, délires,
peurs…
Coup
de tonnerre au Festival de Cannes 2002 ! En ce beau mois de
mai, la Shaw Brothers et Celestial Pictures présentent au marché
du film une copie restaurée du chef-d’œuvre de King
Hu, Come
Drink With Me. Et de mémoire de cinéphile, ce monument
n’a jamais été aussi resplendissant !!! On en profite pour
annoncer la mise en chantier de la restauration du patrimoine Shaw
Brothers et la future diffusion sur support vidéo de ces mêmes
films, dès la fin de l’année. Ils seront parallèlement diffusés
à Hong Kong, vingt quatre heures sur vingt quatre, sur une chaîne
de télévision câblée (appartenant aux frères Shaw ?).
Des
millions de fans ont donc attendu avec impatience le 12 décembre
2002 pour voir apparaître, au catalogue de leurs revendeurs préférés,
les dix premiers VCD/DVD de la Shaw Brothers.
Quel
sera le rythme de sortie des 760 films qui composent le fonds Shaw ?
Initialement, Celestial Pictures (via l’éditeur IVL) avait prévu
la mise sur le marché de 10 nouveaux titres suivant un rythme
bimensuel. A chaque nouvelle fournée, quasiment tous les genres
doivent être représentés (exception faite des films érotiques
qui sortiront dans un deuxième temps) : arts martiaux, drames
historiques, drames, comédies, comédies musicales, polars,
science-fiction, horreur… Dès le mois de janvier 2003, cependant,
après deux salves de dix titres chacune, le nombre est revu à la
baisse : il oscillera désormais entre 5 et 10. Ceux qui
craignaient pour leur portefeuille soufflent un peu !
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3.
Restauration d’un patrimoine de 760 films |
Début
2002, la Shaw Brothers a monté un laboratoire de restauration numérique
entièrement dédié à son patrimoine, dirigé par un spécialiste
Américain (voir à ce titre l’interview de Thomas Thurman dans le
numéro de février 2002 de la revue Positif), constitué d’une
trentaine de personnes et doté d’un budget de près de 2 millions
de dollars américains.
Le
catalogue représente 760 films sous la forme de négatifs
originaux, souvent dans un piteux état du fait de leur mauvaise
conservation (aggravé par un taux d’humidité de 90% et des températures
voisines de 35°C dans la région) : voile vert, voile
d’affadissement, éraflures, problèmes de collure… chaque titre
ayant ses propres dégâts !
Il
faut compter de 3 à 4 jours de travail pour restaurer numériquement
un film destiné à la vidéo. Mais ce n’est pas l’unique
destination de toutes les œuvres de la Shaw Brothers : en
effet, une vingtaine de titres par an, choisis pour leur intérêt
historique et leur potentiel commercial, sont restaurés de façon
bien plus approfondie. Le travail nécessite alors plus de trois
semaines (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7) et une copie en 35 mm
est tirée pour rendre possible une exploitation en salles. Ce fut
le cas de Come
Drink With Me.
La
restauration de l’intégralité du catalogue de la Shaw Brothers
doit être achevée en moins de trois ans, ce qui représente un
travail titanesque. Mais ce qui fait aujourd’hui plaisir, c’est
que le résultat est à la mesure des investissements réalisés.
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4.
Approches technique et éditoriale des DVD Celestial |
Je
laisserai de côté le support VCD, après avoir tout de même
rapporté que le niveau technique est éblouissant ! L’achat
des films sous ce format est donc tout à fait recommandé à qui
veut s’offrir tout ou partie du catalogue Shaw pour un moindre coût.
Tout
d’abord, une énorme déception : la restauration est d’un
tel niveau d’excellence qu’il nous paraissait gagné que l’éditeur
IVL nous proposerait les titres en format anamorphique, d’autant
plus qu’ils ont été tournés pour la quasi totalité en 2.35 (le
Shawscope !) et qu’IVL a déjà sorti des DVD en 16/9ème
(heureusement, l’image conserve cependant une qualité correcte si
elle est gonflée en 16/9ème). Les missives incendiaires
n’ont pas tardé à inonder les boîtes mails de Celestial et IVL,
et on nous promet pour la suite du catalogue un transfert
anamorphique. On verra ce qu’il en sera…
Si
l’image est impressionnante dans sa globalité (on sent tout de même
que certains films ont été plus faciles à restaurer que
d’autres : meilleures sources, plus de temps consacré…),
les bonus, qui diffèrent selon les titres (les « gros »
films, tels que Come Drink With Me, sont plus gâtés que les
autres : commentaires audio et plus d’interviews notamment)
ne sont pas en reste. Ainsi, Celestial nous propose :
-
la bande annonce originale,
-
la bande annonce de la sortie après restauration,
-
les bandes annonces d’autres titres issus de la même
« fournée »,
-
des photos de tournage,
-
des photos promotionnelles,
-
des affiches publicitaires,
-
des biographies : acteurs, metteurs en scène, chorégraphes…
-
des interviews en anglais ou en cantonais sous-titré
anglais : acteurs du film, acteurs étrangers au film (Jade
Leung pour Magic Blade, par exemple), metteurs en scène,
chorégraphes, journalistes spécialisés dans le cinéma
hongkongais (Paul
Fonoroff, Bey
Logan)…
Les
films sont proposés en format audio 5.1, dans la langue de tournage
et éventuellement une deuxième langue (cantonais si la langue de
tournage est le mandarin et vice-versa). Ils sont dotés d’un
sous-titrage optionnel en anglais, chinois, malais ou indonésien.
On notera un défaut de sous-titrage récurrent sur les premiers DVD :
les sous-titres apparaissent parfois deux fois de suite (ils défilent
donc très rapidement). Ce défaut a été maintes fois signalé et
il est à parier qu’il sera prochainement corrigé pour les
nouvelles éditions.
Les
DVD sont codés pour la zone 3, qui correspond à l’Asie du
Sud-Est.
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5.
Quel avenir pour la diffusion des films de la Shaw Brothers ? |
760
titres distribués sur 3 années : il faut espérer que le succès
de la collection sera au rendez-vous ! Le processus de
restauration se faisant au fil de l’eau, il est tout à fait
possible à Celestial de stopper son programme.
A-t-on
l’espoir de voir un jour les films de la Shaw Brothers édités en
Occident ? Il va sans dire que, pour rentabiliser les coûts de
restauration, Celestial a intérêt à distribuer ces films dans le
monde entier. Le codage en zone 3 tend d’ailleurs à prouver que
des négociations sont envisagées (peut-être déjà entamées ?).
Mais, d’un autre côté, la société occidentale qui souhaitera
distribuer ces films devra acquérir les droits de l’ensemble du
catalogue, soit 760 films ! L’investissement sera lourd, pour
un nombre de titres susceptibles d’intéresser un public étranger
assez limité (de plus, les vrais fans auront déjà leur exemplaire
hongkongais !). En effet, outre les films d’arts martiaux,
quelques polars et quelques films d’horreur, je doute que les comédies
musicales, les comédies et les drames passionnent les foules (et
c’est bien dommage) ! Un pari risqué pour un distributeur…
Le salut ne pourra vraisemblablement venir, dans un premier temps,
que des Etats-Unis qui touchent un public plus large grâce à
l’anglais. Soyons patients !!!
David-Olivier
Vidouze (février 2003)
Mise
à jour de juillet 2003
Heureusement
pour tous les cinéphiles non anglophones ou ne possédant
pas un lecteur dvd multizones, les événements
m'ont donné tort. Et j'en suis ravi !!!
Ce
même mois de février 2003, au cours duquel je
rédigeais un article pessimiste sur la parution des
films de la Shaw Brothers en dvd dans l'hexagone, Manuel Chiche,
fondateur de la jeune, dynamique et cinéphile société
Wild Side Video se rendait à l'American Film Market
de Santa Monica pour signer un contrat de diffusion avec Celestial.
Il s'engageait, dans un premier temps, à éditer
sur 2 ans 46 films de la SB parmi les plus célèbres
(La 36ème Chambre de Shaolin, Come Drink
With Me - rebaptisé L'Hirondelle d'Or -,
La Rage du Tigre...) sur support numérique et
à assurer la diffusion d'au moins un titre par an sur
grand écran (Come Drink With Me - L'Hirondelle
d'Or sera le premier, avec une sortie prévue pour
janvier 2004 et La Rage du Tigre en janvier 2005).
Les
premiers dvd sortiront en mars 2004 dans la collection "Les
Essentiels de la Shaw Brothers". Il s'agira de la célèbre
"Trilogie de la 36ème Chambre", avec les
trois films disponibles à l'unité (digipack
cartonné) ou en coffret. Celui proposera en bonus un
mythique documentaire de 82 minutes réalisé
par la télévision française en 1983 :
Citizen Shaw. 43 films suivront sur deux ans. Du bonheur
!
Plus
d'information sur le contenu des dvd (bonus, caractéristiques
techniques...) et la politique éditoriale de Wild Side
Video dans l'interview réalisée auprès
de Manuel Chiche le 15 juillet 2003.
David-Olivier
Vidouze (juillet 2003)
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1. Avant
Celestial
2.
Celestial Pictures, espoir des cinéphiles
3.
Restauration d’un patrimoine de 760 films
4.
Approches technique et éditoriale des DVD Celestial
5.
Quel avenir pour la diffusion des films de la Shaw Brothers ?
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